Extrait 01




I-5

               Nous avons parcouru des kilomètres, à pied, en voiture pour couvrir au mieux les vastes étendues de la ville. Nous étions allés dans les meilleurs restaurants, un indien et un italien tout particulièrement, et avions fini notre soirée bras dessus bras dessous à arpenter les rues du centre dans cette décontraction et cette joie qui sied tant aux couples ayant arrosé comme il se doit leur repas de retrouvailles.
                Nous avons passé une soirée splendide au Concert Hall de la ville, où je l'avais invitée à un opéra où se jouait un Carmen revisité. J'avais réussi via mon prof de Shakespeare à avoir un abonnement à l'année plutôt avantageux. Et ce soir-là, le taxi ayant pris du retard à l'allumage, nous nous étions retrouvés à entrer dans l'immense salle en retard, ce qui nous a valu d'être placé par l'un des employés dans une loge de grande classe alors que nous n'avions au départ que de simple strapontins au fond du balcon. Nous avons passé une soirée de rêve, appréciant chaque instant de cette représentation, qui pour les plus grands spécialistes de l'opéra ne devait être que forcément fade puisque joué par des américains, mais qui pour nous, simples et humbles profanes de la chose, était magique et enchanteur.
                Ce soir-là, j'ai eu l'occasion de l'observer. Ses yeux étaient tellement expressifs, joyeux aux bons moments, emplis de larmes aux mauvais. Elle vivait ce spectacle et ce moment, apercevant de temps à autres que je l'observais, et détournant par la même le regard, d'un air gêné. Elle était toujours aussi belle, son petit nez, ses yeux noisette, ses longs cheveux noirs lisses et brillants courant jusqu'en bas de son dos, ses petit seins  remplissant à merveille leur office dans cette robe de soirée rouge vif que je lui avais trouvé la veille. Elle était belle et nous étions beaux tous les deux, revivant chaque instant, sachant pour ma part que ces instants partaient et défilaient comme les secondes sur nos montres, et nous rapprochaient de cette séparation que je ne voulais pas vraiment vivre et qu'elle ne voudrait certainement pas subir. Je me demandais si mon idée était la bonne, si j'avais eu le bon raisonnement au bon moment, s'il était vraiment nécessaire de lui dire tout, au risque qu'elle passe ses quinze heures d'avion à pleurer ou à regretter. Je ne savais plus vraiment si c'était prudent en fait, si je n'allais pas regretter de vivre une idylle peut-être farouche mais risquée car nouvelle avec cette fille rencontrée sur place, où si je devais finalement considérer que cette partie de l'histoire devait être enterrée à la fin de mon séjour et que je devais regagner mes pénates à l'issue.
               
Au fur et à mesure que les jours passaient, l'échéance devait arriver, et ce décompte que Céline n'imaginait même pas, devenait une fixation et une angoisse permanente pour moi.
              J'étais le seul pyromane responsable de cet immeuble en feu et je n'y trouvais aucun extincteur.

                J'avais réussi, entre deux siestes et quelques moments de repos à croiser Aude chez elle. Nous y avons échangé quelques baisers, je lui avais assuré que l'ensemble était en bonne voie et qu'il n'y avait aucun souci à se faire. J'avais senti chez elle cette impatience, mais aussi cette résignation qu'à posteriori je n'arriverais jamais à comprendre. Elle me laissait, seul, avec ce qui devait devenir mon ex mais qui ne l'était pas vraiment, et j'avais réussi à la persuader de rester dans son coin en attendant.
                En attendant quoi ? Que je revienne, une fois le travail fait, conquérant et plein de nouvelles bonnes volontés. Vivre une aventure avec une femme qui trompe son mari, c'est prendre le risque que cette infortune ne devienne finalement une habitude et que la nature même de la tromperie ne devienne une réalité à venir.
                Ces moments de rencontres furtives, même s'ils étaient d'une particulière intensité, me faisaient réfléchir de plus en plus sur ma propre condition, et ma propre vision de la chose vécue. N'étais-je finalement qu'un salaud ? Un de plus, un de ceux qui disent à leur amante qu'ils vont quitter leur femme et qui ne le font jamais au final. Un de ceux qui, dans ce grand moment pathétique, finissent par avouer à cette même amante que finalement, tu comprends, les enfants, la maison, la voiture, le chien, bref, tout ça tu vois, je ne peux plus l'abandonner, ça ferait trop de mal, j'espère que tu comprendras.
                Je voulais bien être un salaud, mais pas un salaud pathétique. Je ne voulais pas entrer dans ce système, dans cette parodie de vie. Je voulais être maître de mes choix et décisions, et je voulais payer le prix de mes erreurs. Cette situation était ingérable, et j'avais l'impression, mais n'était-ce qu'une impression, de vivre une double vie, de donner plus à chacune que ce que je pouvais faire, et de finalement ne vivre aucune vie comme il aurait fallu qu'elle soit vécue.
               
                Je ne voulais pas tomber dans ce cliché, ces subterfuges qui nous conviennent si bien puisque nous y trouvons notre confort et la quotidienneté des choses et des pensées.

                Pour mes parents, mes amis, la famille de Céline, je n'étais qu'en simple année d'études à l'étranger. J'allais en revenir avec un diplôme en poche, quelques connaissances et surtout une expérience glorifiante à faire valoir sur tout CV à venir. Ils ne pouvaient imaginer que ce mouvement, cette excursion dans un territoire inconnu, cette reconstruction, cette reconstitution de zéro, allait amener à mon esprit, à mes désirs, à mon ambition et à mes envies.

                En peu de temps déjà, j'avais changé. J'avais réussi à manger cette vie comme je le voulais. Cette aventure m'avait dominé dans un premier temps, et j'essayais dans une seconde mi-temps, de reprendre le contrôle du match. J'avais envie de plus, tout de suite, maintenant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire