III-7
Les jours qui suivirent cette annonce étaient
particulièrement glauques, chacun des « virés » venant récupérer ses
affaires et son matériel personnel. Ils étaient regardés par la plupart des
autres employés comme des pestiférés, des lépreux qu’il ne fallait pas
approcher sous peine de subir le même sort.
Les amitiés d’hier n’étaient plus, elles n’étaient que
de façade et n’avaient d’amitié que le nom. Je ne pouvais pas me projeter sur
tous ces autres dont plusieurs ne retrouveraient jamais travail équivalent.
Internet commençait sérieusement à faire du mal à la presse en général, et à la
presse spécialisée en particulier. Cette presse n’avait pas su s’adapter,
évoluer, proposer autre chose que des tests que l’on trouvait maintenant de
plus en plus sur le net, gratuitement. Retrouver un travail dans ces conditions
paraissait particulièrement difficile. Il en était fini la période où chacun
pouvait aller sur tel ou tel titre, en changer, claquer la porte sur un coup de
tête. Je n’étais pas mieux qu’un autre, moi aussi j’ai baissé les yeux devant
les regards haineux qui étaient portés à mon encontre, moi le dernier arrivé,
le petit jeune, le protégé de Tristan. Je n’avais rien à dire. Je n’ai rien
dit.
Je suis rentré ce mardi soir complètement déprimé,
sous la grisaille parisienne, dans les embouteillages de fin de soirée qui
m’attendaient sur le périphérique. Il n’y avait bien que l’intérieur de ma
Smart qui était gai et coloré. J’y étais bien, et je n’avais pas vraiment envie
de rentrer chez moi. Je suis resté de longues minutes à écouter FIP, là,
stationné en bas de l’immeuble, à attendre l’envie de rouler et de rentrer.
Nicole est arrivée à ce moment-là. Il pleuvait fort,
je lui ai dit d’entrer dans la voiture. Elle était complètement mouillée, et
ses yeux étaient remplis de larmes. Elle aussi faisait partie du wagon de
départ. Elle ne savait pas quoi faire, ni si elle retrouverait du travail. Elle
avait peur également de la réaction de son mari. Mon téléphone a sonné. C’était
justement son mari. Il était en furie, me disant et me répétant qu’il allait me
retrouver, que si je ne lâchais pas sa femme, il viendrait me faire la peau. Et
même si je ne croyais pas à toutes ces extravagances dont on peut faire preuve
dans ces cas-là, les quelques bleus que j’avais vu sur Nicole m’avaient
persuadé qu’il était capable d’être violent.
Pendant que je l’avais au fil, Nicole regardait par
terre. Je comprenais alors qu’elle avait craqué, qu’elle avait tout avoué à son
mari. Je me suis écrasé le plus possible au téléphone, assurant mon
interlocuteur que j’allais régler le problème, que j’étais désolé de cette
situation, que cela ne se reproduirait plus. J’ai tout de suite regardé Nicole,
moi aussi j’étais particulièrement remonté. Pourquoi avait-elle fait ça ?
Pourquoi maintenant ? Qu’attendait-t-elle de moi ?
Qu’espérais-t-elle ? Pas grand-chose, je le lui ai assuré. Je suis entré
dans une entreprise de démolition en règle, lui disant tout ce que je pensais
d’elle, que jamais nous ne serions ensemble, qu’elle ne me méritait pas, que
tout était fini, et qu’elle devait se débrouiller pour vivre avec ça.
« Si je n’ai plus rien, tu n’auras plus rien toi
non plus. »
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